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PARIS-BREST-PARIS

DE REVE

 

Il est 16H22 en ce mercredi 25 août 1999 lorsque Philippe Deplaix et moi achevons le PARIS-BREST-PARIS en réalisant du même coup le meilleur temps de l’épreuve.

Je ne pouvais espérer de plus beau cadeau pour fêter mes vingt années de pratique du cyclotourisme.

Que de kilomètres parcourus depuis le mois de septembre 1979 où j’ai débuté à l’âge de 14 ans au sein du CFR (Cyclotouristes de la Forêt de Rambouillet) devenu depuis le CTR (Cyclo Touristes de Rambouillet). Les kilomètres s’accumulant et l’expérience aidant, j’ai été attiré par les épreuves d’endurance et c’est ainsi qu’en 1991 j’ai bouclé sans assistance mon premier PARIS-BREST-PARIS en 72 heures. J’y ai sympathisé avec deux américains qui m’ont invité à participer en 1993 à BOSTON-MONTREAL-BOSTON (épreuve équivalente au P-B-P). Deux ans plus tard, je terminais mon 2ème P-B-P en 49 heures avec cette fois le soutien de mes parents.

Tout cela m’a conduit naturellement à m’inscrire au PARIS-BREST-PARIS 99.

J’ai effectué la série des brevets qualificatifs et lorsque Christian Jolly et Jean Milesi m’ont proposé leur assistance, j’ai tout de suite accepté. Ce sont deux amis de longue date et je pouvais compter sur leur grand dévouement. Il était important pour moi de partir l’esprit libre de tout souci d’organisation et d’être accompagné par des amis qui me connaissent, capables de gérer d’éventuels problèmes.

Nous sommes trois à représenter le CTR : Joël Gaborit, Jean-Marc Lugaro et moi-même. Nous espérons faire une bonne partie du chemin ensemble mais nous connaissons bien les aléas d’une telle épreuve.

Je suis assez tendu en ce lundi 23 août quelques minutes avant le départ de 20H, lorsque Mr LEPERTEL prononce son discours. Le PARIS BREST PARIS est en effet l’aboutissement de huit mois d’entraînement durant lesquels j’ai parcouru 14 000 kilomètres avec toutes les concessions que cela implique.

Une crevaison en début de parcours ou encore une chute restent mes deux inquiétudes sur la ligne de départ. Je sais qu’il faudra attendre les premières difficultés du Perche pour espérer évoluer dans des groupes de taille raisonnable ; quant à la crevaison, je compte sur ma bonne étoile.

Le départ est conforme à ce que je redoutais : un peloton compact où il faut redoubler de vigilance pour éviter les accrochages. La nuit tombée, les premiers dont je fais parti, prennent une mauvaise direction dans Faverolles.

Nous faisons demi-tour et me voilà contraint, en compagnie de Jean-Marc Lugaro, de doubler dans de mauvaises conditions (route étroite et encombrée sur toute sa largeur par le peloton) des centaines de cyclos afin de me retrouver proche de la tête. Il y aura durant ces cent premiers kilomètres de nombreux freinages brutaux et altercations. Les bosses du Perche étirent le peloton.

 

 

MORTAGNE AU PERCHE 141KMS

Je suis en bonne position. Mon ravitaillement est effectué très rapidement et je repars prestement afin de rejoindre la tête. C’est sans compter sans les aléas du sort car comble de malchance, ma roue arrière crève en passant sur les gravillons du ravitaillement officiel. J’ai tout de même l’opportunité de pouvoir embaucher deux spectateurs et d’effectuer la réparation sous les lampadaires. Ce sont hélas de précieuses minutes qui s’écoulent. C’est en solitaire que je quitte Mortagne et m’élance dans la nuit. Mon principal objectif étant si possible d’améliorer les 49 heures de mon précédent PARIS-BREST-PARIS, celui-ci n’est nullement compromis par cet incident. Me retrouver seul, avec toute cette tension accumulée par les conditions de route, va me permettre de me détendre et d’évacuer tout ce stress. Je roule donc serein dans cette nuit calme à la poursuite des lampions rouges que j’aperçois au hasard du tracé des routes et du relief naturel. Je rattrape au bout de plusieurs dizaines de kilomètres quelques cyclos puis un groupe plus important composé d’une vingtaine de cyclistes.

 

VILLAINES LA JUHEL 219 KMS (3H37)

Christian et Jean me ravitaillent efficacement et m’apprennent que nous n’avons que cinq minutes de retard sur les premiers. Je repars sans perdre de temps et la route de Fougères s’effectue à bonne allure.

 

FOUGERES 305 KMS (6H28)

Quelle surprise lorsque nous sommes informés que deux cyclos seulement nous précèdent de 4 minutes . A la suite d’une erreur de parcours du peloton de tête (aux environs d’Ambrières), nous les avons dépassé et les devançons de 12 minutes. Voilà la malchance de Mortagne effacée ! Notre arrêt est réduit au minimum car nous sommes motivés pour rejoindre le prochain contrôle en tête afin de ravitailler dans de bonnes conditions. Nous roulons donc à bonne allure et rattrapons Yves Laignel, il ne reste donc plus qu’un cycliste devant nous.

 

TINTENIAC 359 KMS (8H20)

Nous sommes dix à l’arrivée et croisons Philippe Deplaix qui quitte le contrôle. L’écart avec les suivants semble stable et nous reprenons vite la route afin de perdre un minimum de temps. A la sortie du bourg, nous retrouvons Philippe qui se ravitaille ; il a préféré nous attendre plutôt que de rouler seul et unir ainsi ses forces aux nôtres. J’avais rencontré précédemment Philippe lors du 600 randonneur et je suis satisfait de retrouver là un compagnon de route que j’apprécie. Nous envisageons désormais de virer en tête à Brest : l’écart avec les suivants semble toujours constant et les relais au sein de notre groupe fonctionne bien.

 

LOUDEAC 444 KMS (11H07)

Le ravitaillement devient routinier et mes suiveurs me font gagner de précieux instants pour mon alimentation. Nous conservons notre avance mais les difficultés approchent ; les Monts d’Arrée sont en effet un secteur très vallonné et nous redoutons que nôtre avance s’amenuise. La météo est agréable, l’ambiance du groupe est détendue, ce qui nous permet de franchir de multiples côtes sans soucis.

 

CARHAIX 520 KMS (13H58)

Nous arrivons à sept et sommes satisfaits car nos poursuivants ne sont toujours pas en vue. Laignel pointe et repart immédiatement. Nous préférons nous accorder quelques minutes supplémentaires afin de nous alimenter correctement. Sur cette étape encore bien vallonnée, nous roulons au train et ne cherchons pas à rejoindre notre échappé. Nous sommes beaucoup plus soucieux de garder nos réserves intactes. Elles nous seront précieuses lors d’un éventuel retour de nos poursuivants et surtout lors de notre retour vers Paris.

 

BREST 603 KMS (16H59)

L’arrivée par la rade de Brest s’effectue sous le soleil et l’aborder en tête est euphorisant. A la suite de Laignel qui nous précède de trois minutes, nous pointons à l’apogée de notre randonnée. On nous annonce encore un écart constant avec les poursuivants (15 minutes) ; il faut souligner le fait que les informations sur les écarts nous sont données avec un contrôle de retard et nous ne devons donc pas nous relâcher. Je prends pourtant le temps de m’asseoir pour me restaurer : c’est la première fois depuis Paris que je me le permets mais il est vrai que Brest n’est pas un contrôle comme les autres ! Voilà 300 kilomètres que nous ouvrons la route mais nous ne sommes plus que 4 (Vuylsteke, De Brucker, Deplaix et moi) : heureusement nous coopérons parfaitement et l’ambiance est très sympathique. Nous allons désormais essayer de maintenir le plus longtemps possible notre position et pourquoi pas jusqu'à Paris ! Challenge très motivant mais que je juge trop utopique. Nous voilà déjà sur le chemin du retour et chaque tour de pédale nous rapproche désormais de la capitale. Nous commençons à croiser des cyclos qui sont sur l’aller et qui ne manquent pas de nous saluer d’un geste amical : ce privilège réservé aux premiers me touche. Nous profitons pleinement des paysages bretons et des passages dans les villages où les amoureux de la bicyclette nous ovationnent ; c’est aussi pour eux l’occasion d’organiser des concerts et des repas en plein air qui me font bien envie ! Dans cette étape qui nous mène à Carhaix, nous seront rejoints par Miranda qui a réussi à s’extirper du peloton de nos poursuivants. Trouver du renfort pour notre petit groupe est positif et nous unissons nos efforts dans l’intérêt de chacun. Nous rattrapons Laignel qui ne pourra suivre notre allure : Il paye certainement les efforts effectués pour arriver à Brest.

 

CARHAIX 684 KMS (19H57)

A ce contrôle nous retrouvons la foule ainsi que les cyclos qui vont à Brest. Nos deux compagnons belges n’ont aucune assistance et pour eux l’arrivée au contrôle est synonyme de course aux sandwiches ! Dès que nous avons appris cette situation, nous leur avons donné de quoi remplir leurs poches : que leur mérite est grand d’avoir roulé jusque là sans aucun soutient ! Vuylsteke redoute une seconde nuit sur le vélo et décide de s’arrêter à ce contrôle pour dormir un peu. Nous ne sommes plus que 3 lorsque nous quittons Carhaix car Miranda a réduit au stricte minimum son arrêt. Nous le rejoindrons après une dizaine de kilomètres.

 

LOUDEAC 760 KMS (22H50)

Nous arrivons de nuit et nous pénétrons au sein d’une foule dense : cela va me compliquer la tâche car je ne retrouve pas mes suiveurs. Je confie donc mon vélo à un breton et me voilà parti pointer. Je croise alors Christian et Jean et leur demande de récupérer mon vélo puis de m’attendre en bas de l’escalier. En sortant du pointage, je ne retrouve ni Christian, ni Jean et ce qui m’inquiète beaucoup plus...ni mon vélo. Je les appelle au hasard dans la foule et je les retrouve quelques minutes plus tard : quel soulagement ! La cause de tout cela a été un quiproquo dû à la présence de trois escaliers sur le contrôle et surtout à la foule compacte. Me retrouver au milieu de tout ce monde, incapable de récupérer mon vélo, m’a assurément créé la plus grande émotion de ce PARIS-BREST-PARIS. De Brucker décide de s’arrêter plus longuement à ce contrôle et nous nous quittons en le félicitant d’avoir persévéré jusqu’ici sans assistance. En ce début de nuit notre trio profite d’un ciel étoilé et de la clarté de la pleine lune. La contemplation de ce superbe ciel m’éloigne quelques temps de mes préoccupations terre à terre : une deuxième nuit blanche peut offrir en effet beaucoup d’imprévus tels que les problèmes de direction ou l’assoupissement tant redouté. Nous croisons au fil des kilomètres de plus en plus de cyclos et cela nous complique quelque peu la tâche dans les descentes où nous avons du mal à nous situer par rapport au bord de la route. Cela nous offre cependant le spectacle très particulier de croiser des groupes composés de multiples lampions blancs laissant vaguement deviner les silhouettes de tous ces cyclos encore en route vers Brest.

 

TINTENIAC 845 KMS (1H57)

Je suis inquiet car je ne retrouve pas, à nouveau, mes suiveurs : quel incident a pu leur arriver ? Heureusement pour moi, Marie Claude, l’épouse de Philippe, me rempli bidons et poches et elle tente de me rassurer sur le sort de mes suiveurs.

En quittant le contrôle, je rencontre Christian et Jean qui s’étaient en fait égarés sur la route. Nos problèmes de direction, de sommeil et de ravitaillement sont aussi ceux des suiveurs et leur dévouement prend là, toute sa signification. Dans cette étape qui nous mène à Fougères, Miranda va décrocher dans une côte et il nous lance  « tentez votre chance à coup, je suis fatigué ». C’est avec regret que nous abandonnons notre sympathique compagnon et notre peloton se réduit à sa plus simple expression : Philippe et moi ! Il nous reste environ 350 kilomètres à parcourir : Notre bon moral et notre complicité suffiront-ils à nous donner l’énergie nécessaire pour éviter le retour de nos poursuivants ? Notre situation est précaire et captive désormais nombre de mes pensées.

Grâce à cela, ma vigilance ne me jouera pas de mauvais tour lors de cette deuxième nuit. Nous connaîtrons malgré tout quelques petits problèmes d’orientation aux abords des villages qui seront heureusement vite résolus.

 

VILLAINES LA JUHEL 985 KMS (7H26)

Nous arrivons au petit matin. Je commence à sentir le poids des nuits blanches et des kilomètres mais il n’est pas question de se relâcher. On nous annonce que nous avons 12 minutes d’avance sur le meilleur PARIS-BREST-PARIS randonneur mais je sais qu’il y a encore de nombreux kilomètres qui peuvent nous jouer de mauvais tours (le vent contraire et les kilomètres supplémentaires dus à des déviations nous ferons perdre ultérieurement notre avance). C’est sous une chaleur lourde que nous gravissons les multiples côtes du Perche. Le long de cette route qui nous mène à Mortagne, nous sommes encouragés par de nombreux supporters.

 

MORTAGNE AU PERCHE 1 061 KMS (11H25)

Marie Claude me prête gentiment une tenue que j’enfile avec plaisir et nous remplissons d’avantage nos poches car à Nogent le Roi nous ne pourrons pas bénéficier de notre assistance. Cette étape sera pour moi la plus pénible : un fort vent d’est sévit et va considérablement gêner notre progression, de plus la chaleur est pesante et c’est avec un grand soulagement que je vois Nogent se rapprocher. Nous arrivons là à notre dernier contrôle avant l’arrivée ; nous avons besoin de faire une pause après ces kilomètres dans le vent et nous consacrons un peu plus de temps que de coutume à nous alimenter. Nous sommes de plus en plus étonnés de ne pas voir nos poursuivants revenir sur nous et c’est donc toujours avec une avance substantielle que nous entamons notre dernière étape. Nous nous retournerons plusieurs fois en craignant de voir apparaître nos poursuivants et en s’approchant de l’arrivée, nous devons nous rendre à l’évidence : nous allons finir en tête à tête ce PARIS-BREST-PARIS.

 

GYMNASE DES DROITS DE L’HOMME 1204 KMS (16H22)

Nous arrivons sous les applaudissements et sommes accueillis par les responsables de l’Audax Club Parisien et de la FFCT. Je retrouve aussi mes fidèles suiveurs et les mets une dernière fois à contribution : me trouver des boissons fraîches et du ravitaillement. Je vais enfin pouvoir manger et boire en prenant tout le temps désiré.

Quel beau PARIS-BREST-PARIS aurons nous eu la chance de faire mais que ces 44H22’ auront passé vite ! ! Avec Philippe, Marie-Claude, Christian et Jean, nous aurons formé une équipe soudée au sein de laquelle la camaraderie, la jovialité, notre total amateurisme et surtout notre plaisir de pédaler auront fait de ce PARIS-BREST-PARIS............................................UN SOUVENIR INOUBLIABLE ! ! !

 

 Christophe BOCQUET, Octobre 1999

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